30/05/2022

Les descendants - Chapitre 1

 


    La jeune fille regardait la vieille femme d’un air incrédule. Était-ce réellement une vielle femme ? Difficile à dire. Elle semblait sans âge, le genre de personne presque figée dans le temps, comme immortelle. Emily se rappelait parfaitement avoir reçu une lettre d’un style mêlant XIXe et Moyen-Age. Celle-ci semblait avoir été écrite à la plume et était scellée d’un sceau étrange imprimé dans de la cire rouge. L’encre verte avec laquelle avait été écrit son adresse l’avait laissé penser que l’émetteur du courrier devait certainement avoir très mauvais goût. Lorsqu’elle avait eu enfin fini de lire la lettre, il avait été clair que c’était plutôt la plaisanterie qui l’était.

Cher Mlle Jonson,

Nous sommes heureux de vous annoncer que vous êtes admise à Poudlard, l’école de sorcellerie…

    La suite avait été des plus rocambolesques, une liste d’ustensiles les plus loufoques les uns que les autres ainsi que des titres de livres tirés par les cheveux qui, cela va de soi, n’existaient pas, avaient été ajoutés à la lettre. Bien qu’elle soit bien placée pour savoir que le monde cachait des choses extraordinaires, cette lettre était un peu trop surréaliste pour qu’elle ne la prenne au sérieux. Elle l’avait donc jeté à la poubelle, ayant des choses plus importantes à penser, et n’avait même pas pris la peine d’en parler à son tuteur. Cela faisait trois jours. Et aujourd’hui, voilà qu’une femme ayant l’air d’être un remix du cliché de la vieille bibliothécaire aigrie et de la cousine de Merlin était assise dans son salon en train de boire le thé avec Nathanaël. Elle s’était présentée comme étant Minerva… McGall ? McGonall ? McDonald peut-être ?  directrice de Poudlard et émettrice de la lettre à la magnifique encre verte – c’était ses mots – qui s’était très certainement égarée selon elle, puisqu’elle n’avait obtenu aucune réponse. Emily, qui jusque-là s’était contentée d’afficher un petit sourire forcé, avait laissé échapper un petit bruit étranglé lorsque Minerva l’avait regardé par-dessus ses lunettes avec l’air de dire « je sais que vous l’avez lu ».

    – L’école de Poudlard peut vous aider à contrôler vos dons. De plus vous serez la première à y entrer directement en troisième année, avec nécessité de travailler les bases avant la rentrée évidemment, mais je suis certaine que vous en êtes capable.

    – Pourquoi ?

    La directrice reposa sa tasse de thé avant de se tourner vers elle. Elle pencha sa tête en arrière pour regarder Emily sous son chapeau noir pointu. Face à cet accoutrement, la jeune fille espéra que cette femme aux goûts vestimentaires plus qu’originaux n’avait pas été aperçue entrant chez eux.

    – Pourquoi vous devez rattraper les bases ? répondit la sorcière sur un ton aigu comme si la réponse était tout ce qu’il y avait de plus évident. Personnellement, poursuivit-elle, je préfèrerais éviter que vous ne transformiez un des élèves en crapaud ou que vous ne rendiez quelqu’un borgne avec votre baguette.

    Nathanaël laissa échapper un petit rire cristallin qui lui valut un regard furieux de la part de sa protégée.

    – Vous me pensez empotée à ce point ?

    – Vous seriez étonnée, Miss Jonson, de savoir tout ce que j’ai pu voir comme idioties tout au long de ma carrière.

    La jeune fille tenta de jauger si la sorcière – puisqu’elle se qualifiait ainsi – était en train de plaisanter ou si elle essayait de lui faire peur. Après un petit silence gênant qui parut durer une éternité, il semblait clair que la directrice était tout ce qu’il y avait de plus sérieux. Elle ne donnait pas l’air d’être du genre à rire et même Nathanaël donnait l’impression de ne plus savoir où se mettre. Il fallait dire que cette dame était assez impressionnante. Malgré son accoutrement des plus étranges, il dégageait d’elle une prestance sans égale et sa posture la rendait réellement intimidante. Cependant, Emy n’était pas du genre à se laisser démonter pour si peu, et bien que son visage affichât un petit sourire embarrassé, elle ne perdit pas le fil et reprit sur la question qui l’intéressait :

    – Pourquoi vous ne me le proposez que maintenant et pourquoi me dispenser des deux premières années ?

    La sorcière qui semblait pourtant avoir réponse à tout resta silencieuse un moment avant de reprendre d’un air sombre.

    – Je pense, Miss Jonson, que votre tuteur sera d’accord avec moi pour dire que vous serez plus en sécurité dans une école protégée par des enchantements, que cachée dans cette maison en rase campagne, bien que très coquette si je peux me permettre. Et il ne me semble pas approprié de vous faire entrer en première année au vu de votre âge.

    Emily Jonson allait fêter ses treize ans d’ici quelques semaines. Elle était de taille moyenne pour son âge et se serait en effet difficilement mêlée à des premières années de onze ans. Pourtant, bien qu’elle pourrait sans difficulté donner raison à l’étrange dame installée dans le canapé de son salon, certains de ses propos l’avaient piqué au vif. Serait-elle au courant ? Elle jeta un œil à Nathanaël qui semblait s’être assombri lui aussi. Le fait que la directrice l’ait pris à témoin ne plaisait pas à la jeune fille. Que savait-elle ?

    – On s’en est toujours très bien sorti jusqu’à présent, reprit Emy sur un air presque de défi.

    – Cela ne fait aucun doute Miss Jonson. Je suis certaine que votre précédent établissement vous ouvrira les portes avec joie l’année prochaine.

    Emily serra les dents. Cette femme en savait un peu trop à son goût. Elle venait de faire allusion à la dernière expérience de sociabilité qu’avait connue Emily durant l’année scolaire précédente. Nathanaël l’avait inscrite dans un nouvel établissement – un de plus – et malgré ses efforts pour se fondre dans la masse, son côté bizarre provoquait toujours les mêmes réactions. Ça ne s’était pas très bien terminé.

    Elle lança un regard en biais à son tuteur. Ce dernier n’avait jamais émis l’idée qu’il ne se sentait pas capable de la protéger seul. D’ailleurs, ils s’en étaient toujours sortis sans l’aide de personne, veillant l’un sur l’autre. Pourtant, l’inquiétude désormais apparente sur son visage n’était nullement feint et la jeune fille se demandait à quoi était dû ce changement de comportement inexpliqué. Il lui semblait que la venue de cette femme en était la cause, et elle maudit le jour où elle avait trouvé cette enveloppe sur son pallier.

    – Vous avez dit que votre école m’aiderait à contrôler mes dons, reprit Emily en mimant des guillemets virtuels avec ses doigts. Sauf que je les contrôle parfaitement.

    – Cela ne fait aucun doute Miss Jonson...

    – Dans ce cas je vous souhaite une excellente journée et un bon retour à…Poudlard…

    – Emy !

    La jeune fille avait déjà fait volte-face et ne répondit pas à l’interpellation de son tuteur. Ils s’étaient toujours très bien débrouillés jusqu’à présent et la venue soudaine de cette femme dans leur vie ne lui disait rien qui vaille.

    Elle avait eu maintes occasions de voir qu’il était plus facile de garder des secrets lorsque l’on ne côtoyait personne. Et il se trouvait qu’elle excellait dans l’art ne n’avoir besoin de qui que ce soit. Tout du moins, de personne d’autre.

 

*

 

    Lorsque la directrice de Poudlard fut partie, Nathanaël eut bien comme intention d’avoir une petite discussion avec sa protégée. Mais c’était sans compter le fait que cette dernière avait un caractère bien trempé et son opinion bien arrêté au sujet de cette femme qui était venue la voir pour la regarder de haut avec son air pince sans rire.

    – Emy, tu peux m’expliquer ce qu’il t’a pris ?

    – C’est plutôt à moi de te demander ça ! Tu n’as eu de cesse de me répéter toute ma vie que je devais me méfier des gens et là, tu laisses cette femme entrer chez nous – sans compter l’accoutrement qu’elle avait et qui aurait pu attirer l’attention – et nous dicter ce que nous devrions faire ?!

    – Elle venait proposer son aide…

    – Son aide ? Son aide pour quoi ?! Que sait-elle exactement ?!

    Nathanaël poussa un soupire en se pinçant l’arête du nez.

    – Juste que nous sommes différents et en fuite. Il semble que dans le monde de la magie les rumeurs cours vite et, malgré tous nos efforts, on nous a remarqué.

    – N’importe quoi ! Il y a quelque chose qui ne va pas. Quelque chose cloche je le sens. Est-ce que tu me caches quelque chose ?

    – Emy… dit-il dans un nouveau soupire, j’y ai juste vu l’occasion pour toi d’avoir la vie dont tu rêves. Une vie plus normale.

    – Normal ? Avec des gens qui volent sur des balais tout défraichis ?

    En effet, la vieille femme avait précisé au cours de la conversation qu’il serait bien qu’Emy rattrape son retard concernant le déplacement en balais magique. Là encore elle avait cru à une blague, avant de croiser l’éclat glacial qui s’était reflété dans les verres carrés de la visiteuse.

    – Je pense qu’ils sont ce qui se rapprochent le plus de notre normalité à nous, poursuivit Nathanaël. Écoute…

    Sa voix ainsi que son regard bleu pure s’étaient adoucis, comme à chaque fois qu’il souhaitait mettre fin à un conflit avec sa pupille.

     – Tu as toujours voulu être comme les autres…

    – C’était il y a longtemps Nath’. Aujourd’hui j’ai grandi et je comprends beaucoup mieux ton point de vue.

    – Sauf que s’ils nous ont repéré, qui d’autre a pu y parvenir ?

    Emy garda le silence, bien obligée d’accepter que son tuteur eût raison.

    – Est-ce que tu lui fais confiance ? lui demanda-t-elle.

    – Nous avions un ami commun. Une personne que j’ai connu bien avant ta naissance. Il y a des choses qui ne trompent pas. Et si elle lui était loyale alors oui, je pense qu’on peut lui faire confiance.

    – Et qui était cette personne ?

    – Albus Dumbledore. Un très grand et puissant sorcier, le plus grand que notre siècle eut connu, et le plus sage aussi. Minerva lui a succédé à la direction de Poudlard.

    – Pourquoi est-il parti ?

    – Il est mort… dit-il d’un air mal à l’aise.

    La jeune fille fronça les sourcils, signe qu’elle allait poser la question qui fâche :

    – Comment ?

    Voyant qu’elle le regardait avec insistance et qu’elle n’en démordrait pas, il poursuivit en grimaçant :

    – …assassiné.

    – Oh ! Et c’est censé me convaincre d’aller dans cette école ?

    – Il a toujours prôné que c’était l’endroit le plus sûr au monde. J’espère que c’est toujours le cas.

    Nathanaël se garda bien de préciser que son vieil ami avait été tué dans cette école-là même qu’il disait être sûr pour eux. Après la venue de Minerva et l’entretien qu’ils avaient eu, il était certain que c’était la meilleure solution. Cependant, il était déjà assez difficile de convaincre Emily sans même lui avoir donné tous les détails, il valait donc mieux qu’elle reste dans l’ignorance, pour le moment du moins. Mais c’était sans comptée la vivacité d’esprit de l’adolescente :

    – Une petite minute ! Tu connaissais leur existence ?!

    – Je suis désolé… Le monde des sorciers me semblait trop dangereux…

    – Et plus maintenant ?!

    Quelque chose n’allait pas. Emily Jonson le sentait dans chaque pore de sa peau. Il lui cachait quelque chose.

    – Qu’est-ce qui a changé Nath’ ? Qu’est-ce que tu caches ?

    Nathanaël ne répondit pas. Emily l’ignorait mais l’étau se resserrait autour d’eux. Et la venue de Minerva McGonagall tombait à pic, bien que les nouvelles qu’elle eut apportées étaient elles aussi fort inquiétantes. À choisir, il décida de divulguer l’information la moins susceptible de perturber la jeune adolescente. Il devait attendre d’en savoir plus avant de lui dire quoi que ce soit.

    – Je commence à avoir du mal à te cacher. Ils se rapprochent à chaque fois un peu plus. Plus que ce que je te laissais bien croire. Je pensais t’épargner des inquiétudes inutiles, mais aujourd’hui je pense qu’il est préférable que l’on accepte cette proposition.

    Emily resta estomaquée. Elle ne pensait pas que ce jour arriverait. Le jour où Nathanaël lui dirait qu’il a besoin d’aide. Le moment était donc venu, celui où fuir n’était plus suffisant.

    Face à cette révélation, Emily ne sut que dire. Son instinct lui soufflait toujours que c’était une mauvaise idée, mais elle avait toujours pu faire confiance à Nathanaël, jamais elle n’avait eu à le regretter.

    – Et toi, qu’est-ce que tu feras si j’accepte ? demanda Emily à Nathanaël.

    – Ce que j’ai toujours fait. Garder un œil sur toi.

    Ça va être encore plus compliqué… Se cacher loin de tout ce n’est pas la même chose que dissimuler quelque chose sous le nez des gens. On a bien vu que ça ne marchait pas très bien.

    – Comme tu l’as dit à Minerva tu contrôles parfaitement tes capacités. Parmi des élèves dotés de pouvoir magique il y a que très peu de chance que quelqu’un te remarque.

    – Je vais entrer directement en troisième année ! C’est déjà équivalent à avoir une cible rouge sur le front étant donné que ça ne s’est jamais produit depuis l’existence de cette école !

    – Raison de plus pour rattraper ton retard dès à présent. Il va falloir donner l’impression d’être un petit génie pour expliquer cela.

    – Excuse-moi mais est-ce que tu as lu la liste des ouvrages ? Où est-ce que je suis censée trouver tout ça ? Je suis quasiment sûre que Google ne pourra pas m’aider !

    Une lueur espiègle traversa les yeux bleus de Nathanaël. Bien qu’ils s’étaient contentés de rester dans le monde des moldus depuis la naissance d’Emily, le monde des sorciers n’était pas un secret pour lui. Et connaissant sa pupille qui, malgré sa grande maturité pour son âge, avait gardé une réelle âme d’enfant, elle allait adorer ce voyage.

    – Qu…quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?

    – Prépare tes affaires ! On va à Londres !




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